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CINÉMA DU RÉEL  -  JOURNAL DE BORD


Le festival international du film documentaire Cinéma du Réel nous accueillait cette année avec une question large et ouverte: « Qu’est-ce que le réel ? ». Dans un ouvrage collectif célébrant les quarante ans du festival et dont le titre reprenait cette formulation, des cinéastes et critiques tels que Kevin Jerome Everson et Trinh T. Minh-ha étaient invités à y répondre.

Chez Atoubaa, cette question du réel nous est bien-sûr très importante : la création d’une telle plateforme répond à l’invisibilité d’un certain réel, celui des femmes noires dans l’art et donc d’une certaine manière dans la culture, la société, le politique. Et comme pour chaque manifestation de la sorte, nous arrivons avec une autre question, non pas « qu’est-ce que le réel ? » mais « Où est le réel ? ». Plus précisément : où sont les femmes noires dans ce réel ?

La programmation généreuse offrait dans Pour un autre 68, sa section parallèle qui explorait cette année charnière du point de vue d’autres parties du monde, une série de trois films réalisés par des femmes noires.

Monangambeee (1968, Sarah Maldoror)

Monangambeee (1968, Sarah Maldoror)


Dans Monangambeee (1968, Sarah Maldoror), I Am Somebody (1969, Madeline Anderson) et Mi Aporte (1969, Sara Gómez), les réalisatrices nous font voyager de l’Angola anticolonialiste au Cuba communiste en passant par les Etats-Unis durant les droits civiques. Les trois oeuvres se concentrent sur la vision, les contributions majeures et les réflexions des femmes qui sont leurs sujets. En sortant de cette séance, on ne se demande pas seulement où sont les héritières des femmes qui s’expriment dans ces films mais également où sont celles des réalisatrices engagées et radicales de ces œuvres ? Le festival ne nous permet pas réellement de répondre à ces questions. Malgré la présence d’Alice Diop dans le jury, nous constatons que ce soit dans le public, l’espace presse, dans la curation, sur les écrans et derrière la caméra un manque étonnant de femmes noires et des réels qu’elles peuvent composer.

Ceci étant dit, le peu de films que l’on a pu voir ont confirmé un bouillonnement créatif dans la forme documentaire, dont le matériau premier - le réel - est si dense et chaotique, qu’il ne peut que produire de l’inédit même dans ses manifestations les plus minimalistes. Que ce soit la chronique d’une vie d’un pêcheur portugais (Terra Franca, Leonor Teles), les chroniques quotidiennes de jeunes du sud de la France interrompues par l’évènement tragique de Nice via Periscope (Roman National, Grégoire Beil), ou l’histoire méconnue des chamboulements post-indépendance au Suriname (Night Readers, Mathieu Kleyebe Abonnenc) : le réel inspire et promet, par sa nature même, des œuvres riches à venir.

Pour finir, il reste bien sûr Black Mother du photographe et réalisateur Khalik Allah, l’un des rares réalisateurs noirs des sélections officielles. Allah était présent lors de notre projection, sa première en France, et nous avons pu nous entretenir longuement avec lui. Nous espérons que son Black Mother sortira en France. Un film dense qui donne une place importante à la femme noire, spécifiquement jamaïcaine et à son corps, sa voix, ses pensées de manière crue, poétique, parfois dérangeante mais toujours personnelle. En attendant vous pourrez lire l’interview que nous avons menée bientôt ; nous vous promettons une discussion aussi originale et riche que son documentaire.

À l’année prochaine ?

Palmarès de l’édition 2018
« Qu’est-ce que le réel: Des cinéastes prennent position », dirigé par Andréa Picard

Merci à Audrey Grimaud de l’Agence Valeur Absolue pour son aide précieuse avant et pendant le festival.


SUR ATOUBAA


  • Dans l'épisode final de notre podcast « Exhale » , Marty et Adama s’adressent, avec tendresse, aux jeunes filles qu’elles étaient. Saisissant ainsi l’occasion d’aborder, avec de nouveaux mots, des traumas qu’elles n’avaient pu comprendre ou exprimer à l’époque.

  • « Et ma Langue se mit à danser » est le premier roman d’Ysiaka Anam. Auteure à la présence mystérieuse, elle s’affirme ici comme une voix à suivre, nous faisant pénétrer dans une intimité torturée en prise avec des névroses liées à la langue, au corps et aux origines.

  • Dans From Abena to Gloria, Wendy Owusu raconte son Ghana en image.